[00:22 – Lionel Dufaux]
Ader, c’est le premier dans sa catégorie, mais ce n’est pas vraiment celui qui a fait le premier vol, c’est celui qui a fait le premier décollage motorisé. Ce qui dit comme ça peut paraître un peu secondaire, alors qu’en fait, c’est fondamental. Le premier vol homologué, c’est les frères Wright en 1903, mais les frères Wright, eux, contournent le problème du décollage parce qu’ils utilisent un planeur qui est catapulté. Clément Ader, lui, il s’attaque finalement à un des problèmes les plus compliqués pour l’aviation, c’est d’arriver à faire décoller une machine plus lourde que l’air. Et les avions qu’il a construits, il y en a deux, le deuxième se trouve derrière moi, sont les témoins de ses premières tentatives plus ou moins réussies de décollage d’engages à motoriser. Clément Ader, c’est un homme qui touche à plein de domaines techniques au XIXᵉ C. Il va travailler dans les chemins de fer, il va se distinguer dans la vélocipédie et il fait fortune avec des brevets pour utiliser des téléphones pour suivre des pièces de théâtre à distance. C’est un homme qui a viscéralement la démarche expérimentale dans le sang. À cet égard-là, c’est un homme un peu héritier des Lumières, mais une bonne incarnation de la révolution industrielle.
[01:25 – Lionel Dufaux]
Clément Ader s’inspire de la nature ou en tout cas étudie la nature et le vol des animaux ou même le vol de certaines graines. Ce sont ses connaissances au jardin d’acclimatation qui lui permettent de se procurer des roussettes des Indes qui sont des chauves-souris qui ont une très grande envergure. Et Ader va étudier ces animaux, la membrane que l’on trouve sur l’ossature de ces animaux et puis le squelette. Et on voit tout de suite l’analogie entre le squelette de la chauve-souris et la structure de ces avions. Sur Éole, c’est une structure qui est en bambou. Sur l’avion numéro 3 qui est ici, c’est une structure qui combine une petite quinzaine d’essences de bois qui ont été choisis pour leur légèreté et leur solidité. Ader va vraiment partir de ce qu’il a pu voir dans la nature et essayer de le réinterpréter. Lorsqu’il commence à s’intéresser à l’aéronautique, ou en tout cas à fabriquer des machines volantes, il y a un très fort engouement pour l’aérostation. On est dans la logique du plus léger clair. Le ballon, tel qu’on le connaît depuis les frères Montgolfier, c’est la seule solution possible et envisageable. Et puis d’autres, comme Ader, vont avoir l’audace d’essayer autre chose.
[02:27 – Lionel Dufaux]
Dans les années 1880, il se lance dans la construction de son premier avion, le fameux Éole, il y passe sa fortune personnelle. Et les premiers essais d’Éole, en 1890, puis 1891, se font devant les représentants du ministère de la Guerre, parce qu’il s’agit d’obtenir des financements publics, parce qu’Ader n’est pas en capacité de poursuivre les expériences par lui-même. Je pense qu’Ader n’avait pas envisagé une machine volante qui battrait des ailes comme un animal, mais il comprend très vite que la motorisation, ça être le point le plus complexe à résoudre, puisqu’il faut un moteur qui soit compact, léger et qui développe suffisamment de puissance. Il se tourne naturellement vers les solutions les plus à la pointe à l’époque, c’est le moteur à vapeur, à haute pression. Le tout premier moteur développe une puissance de 12 chevaux. Il comprend 1.500 tubes de cuivre. En fait, ce moteur, c’est presque de la haute couture, c’est de la mécanique de précision. Lorsqu’il s’attelle à construire son deuxième avion, qui est en fait l’avion numéro 3, il va concevoir un moteur beaucoup plus puissant 30 chevaux. Pareil, avec des matériaux innovants, légers, résistants. La première tentative, c’est 1890.
[03:37 – Lionel Dufaux]
C’est là où on se rend compte que le moteur n’est pas forcément très adapté, il est un peu fragile. Et les témoins oculaires rapportent que les traces des roues se sont estompées sur le sol. Ader en déduit que le poids de l’avion est porté davantage par les ailes que par les roues. Il pense donc être dans la bonne direction. Il réalise une deuxième série d’essais en 1891 à Satori, à côté de Versailles. Et là, l’avion, d’après les témoins, se serait soulevé sur quelques centimètres d’altitude, sur une distance de 50 à 100 mètres. On considère que c’est vraiment le premier décollage motorisé. Et à partir de là, soutenu par les militaires, il va fabriquer un avion beaucoup plus sophistiqué, qui est l’avion numéro 3. Cet avion, il a un moteur plus puissant, il a des commandes qui réagissent de manière beaucoup plus fine, beaucoup plus souple. Il est plus léger aussi qu’Éole, parce qu’il a une structure en bois plus légère. Et Éole, il y avait une toile en lin. Ici, on a choisi la soie, donc un matériau plus fragile, mais infiniment plus léger. C’est presque une bête de course pour Ader. C’est un avion qui obéit aux doigts et à l’œil.
[04:39 – Lionel Dufaux]
Et donc, en 1897, Ader est très excité. Il veut absolument montrer, prouver que cet avion va pouvoir décoller. Il a fait construire une piste ronde pour qu’il n’y ait pas de problème de fin de piste. Il doit faire d’abord des essais pour voir comment se comporte l’avion. Et puis, certainement emballé et très excité à l’idée de d’aller encore plus loin, il pousse les gaz, l’avion se soulève, décolle, mais le vent latéral n’est pas favorable et l’avion fait une embardée, sort de la piste, atterrit violemment et se rompt en partie. Et en gros, le ministère de la Guerre dit : On arrête les frais. C’est là où on voit cette distorsion. Ader imaginait un avion à utiliser sans vent, sans problème de météo. Et donc là où il aurait fallu qu’il poursuive ses essais, finalement, il n’a plus les fonds. Seulement pour réparer l’avion, mais il ne peut pas aller au-delà. Il faut attendre 1906 pour avoir les premiers vols avec un décollage contrôlé et un vol motorisé. Finalement, la traversée de la Manche en 1909 est le premier exploit, en tout cas le premier d’une longue série, qui va contribuer à viabiliser la pertinence de l’aviation.
[05:49 – Lionel Dufaux]
Mais Ader reste quand même un des premiers pionniers de l’aviation. Son avion numéro 3, qui est le seul qui nous reste de lui, accède vite au rang de relique, de vénérable objet qu’on va conserver, admirer et que l’on va voir comme une source d’inspiration et d’émulation pour plein d’autres constructeurs. Et à ce titre, c’est un objet extrêmement important et je pense un vrai jalon dans l’histoire de l’aéronautique.