Le Dessous des Cartes – Espagne

https://www.arte.tv/fr/videos/108458-027-A/le-dessous-des-cartes/

https://www.happyscribe.com/transcriptions/0712c78060114c1199cb77b1187fa6dc/view?organization_id=709837

[00:18 – Emilie] Ravie de vous retrouver sur Arte.tv pour un nouveau numéro du Dessous des cartes. Aujourd’hui, on commence avec un endroit singulier de la planète, le détroit de Gibraltar. À peine 15 kilomètres, c’est par ici l’Espagne du Maroc, l’Europe de l’Afrique, et nous sommes, vous le voyez peut-être, à la frontière entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée. C’est l’un des lieux de circulation maritime les plus fréquentés de la planète. Le détroit de Gibraltar, par lequel je voulais commencer pour vous emmener en Espagne, ce pays européen si bien servi par la géographie, vaste territoire entre deux continents, deux mers, puissant également par sa langue de Castillon étant sa domination en deuxième position derrière le Chinois. L’Espagne, un pays que les retournements de l’histoire ont pourtant conduit à une certaine retenue dans l’usage qu’elle aurait pu faire de sa puissance. Ainsi, aujourd’hui, Madrid apparaît comme un acteur discret des relations internationales. Essayons de comprendre pourquoi avec nos cartes.

[01:14 – Emilie] À la pointe Sud-Ouest de l’Europe, l’Espagne occupe une position géographique singulière. Au carrefour, on l’a dit, entre le continent européen et l’Afrique du Nord, qui sont donc séparés par le stratégique détroit de Gibraltar. L’Espagne partage la péninsule ibérique avec le port de Portugal à sa frontière ouest.

[01:32 – Emilie] Le pays ouvre à l’est sur la Méditerranée avec les îles Baléare à l’ouest, sur l’Atlantique jusqu’à l’archipel des Canaries et au nord, sur le golfe de Gascogne. Les Pyrénées délimitent la frontière terrestre avec la France. Au Sud, l’Espagne revendique le contrôle de Gibraltar, une enclave britannique depuis 1713, et elle possède les villes de Melilla et Ceuta sur la côte marocaine. On y reviendra. Le territoire espagnol, plus de 500.000 kilomètres carrés, est strié de nombreuses chaînes de montagne les Sierras. Son climat aride et sa grande couverture forestière le rendent particulièrement vulnérables aux changements climatiques et chaque été, les incendies ravagent des centaines de milliers d’hectares de forêt. Avec 47,4 millions d’habitants, l’Espagne est le quatrième pays le plus peuplé d’Europe, mais loin derrière l’Allemagne, la France et même l’Italie. Comme ailleurs en Europe, la population espagnole vieillit, mais le solde démographique reste positif, car le pays accueille un nombre important d’immigrés, marocains, romains, britanniques et colombiens notamment. L’économie espagnole, la quatrième de l’Union européenne, est avant tout basée sur les services qui représentent 67 % environ de son PIB. Le tourisme est le premier secteur d’activité espagnole en chiffre d’affaires et en emplois grâce à la richesse culturelle et les innombrables plages qui attirent des touristes venus de toute l’Europe, allemand, britannique et français sur le podium.

[03:04 – Emilie] L’ouverture sur le monde de l’Espagne est liée à sa géographie, mais aussi à son histoire faite de brassages et de colonialisme, et c’est ce qu’on va voir maintenant. À partir de 711, la Péninsule est en grande partie conquise par les morts musulmans. Au cours des siècles suivants, ils y installent une brillante civilisation islamique à l’Andalus, dont la capitale est Cordoue. Chassés vers le Nord, les chrétiens entreprennent alors la reconquista.  Huit siècles plus tard, elle s’achève avec la prise de grenade en 1492par l’armée des rois catholiques de Cassis et d’Aragon. Les musulmans et les juifs sont contraints à l’exil ou à la conversion. En 1492 également, la couronne espagnole finance le premier voyage de Christophe Colomb, marquant le début de la colonisation espagnole du monde. Ainsi, vers 1547, regardez l’étendue de l’empire de Charles V. En Europe, où il règne sur l’empire des Habsbourg, au Maghreb et aux Avérées. En 1580, l’empire de Philippe II s’agrandit vers la vie aux Philippines. Mais en 1648, ce siècle d’or colonial prend fin et la puissance espagnole entame un lent effacement de la scène économique et politique internationale. À la fin du XIXᵉ siècle, c’est l’indépendance des dernières colonies d’Espagnols et la mainmise des États Unis sur l’Amérique latine.

[04:31 – Emilie] Le Royaume Uni, l’Allemagne et la France, puissances dominantes en Europe, se partagent alors l’Afrique. L’Espagne n’obtient qu’une portion congrue, le Rio de Ouro, puis en 1912, un protectoral situé au nord du royaume du Maroc, par un accord avec la France. En 1923, après le coup d’État du général Primo de Rivera, l’Espagne se fracture entre forces révolutionnaires ouvrières et grandes bourgeoisies contrôlant l’armée. En 1931 est instaurée la Seconde République. En 1936, un soulèvement de généraux putschistes, appuyés par l’Église et la grande bourgeoisie, déclenche la guerre civile. Le général Franco, soutenu par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, soumet l’armée républicaine après trois ans de combat. Mais contrairement à Hitler et Mussolini, qu’il soutient durant la Seconde Guerre mondiale, Franco reste au pouvoir à la fin de la guerre et ne le quitte qu’à sa mort en 1975. La répression est féroce, 200 000 morts et près d’un demi-million d’exilés politiques. Et dans les années 60, cette répression se concentre sur l’ETA, une organisation indépendantiste basse qui fait pression sur le régime par la violence armée. Après la mort de Franco, l’Espagne, mise au banc sous la dictature, rejoint tardivement le camp des démocraties occidentales. 1982, Madrid intègre l’OTAN et le Parti socialiste espagnol arrive au pouvoir.

[06:01 – Emilie] 1986, l’Espagne entre dans la communauté européenne. Les subventions vont alors métamorphoser le pays. La population se libère. À Madrid, c’est la Movida. Une vague de changement parcourt la société et la culture espagnole. Alors aujourd’hui, où en est l’Espagne ? Ancrache dans la démocratie, modernisation de l’économie, fin du terrorisme basque, rayonnement culturel. Le pays a désormais trouvé sa place parmi les nations européennes, une place singulière et un certain nombre de défis toujours à relever. C’est ce qu’on va voir maintenant. Depuis 2010, l’Espagne traverse une grave crise politique. Elle oppose en Catalogne les indépendantistes qui sont majoritaires dans cette région au pouvoir central. Le référendum de 2017, tenu dans un climat de grandes tensions et de manifestations géantes, a engagé la Catalogne dans un processus de séparation jugé depuis illégal par Madrid et désormais suspendu. Autre enjeu sensible, la mémoire de la guerre et des crimes de la répression franquiste qui continuent de diviser les Espagnols. Les défenseurs des victimes de la dictature réclament l’ouverture des fosses communes qui abriteraient près de 130 000 corps et l’abrogation de la loi d’amnistie de 1977 qui bloque tout procès. Depuis octobre 2022, la loi dite de mémoire démocratique engage néanmoins la responsabilité de l’État pour financer les fouilles et les exhumations.

[07:30 – Emilie] Sur le plan économique, l’Espagne se remet en fin de la grande crise de 2008 qui a entraîné une récession de plusieurs années. Cette crise a aussi conduit, en mai 2011, au mouvement des « indignés », une contestation du système par de jeunes urbains qui ne se reconnaissaient plus dans les parties traditionnelles. Le Covid fut une épreuve particulièrement difficile pour le deuxième pays le plus visité au monde, mais le tourisme repart aujourd’hui à la hausse. En 2022, l’Espagne a accueilli plus de 71 millions de visiteurs, presque autant qu’avant la pandémie. À Barcelone, la capitale catalane, ce tourisme de masse, 27 millions de visiteurs par an pour 1,7 million d’habitants, a d’ailleurs provoqué une profonde lassitude. La situation économique du pays se rétablit peu à peu. Fin 2022, le taux de chômage a atteint son plus bas niveau depuis 15 ans à 12,5% en moyenne. Ce chiffre reste cependant le plus élevé d’Europe et il cache de grandes disparités régionales. On le voit sur cette carte qui montre bien les inégalités économiques entre le Nord et le Sud du pays. Plus la couleur est foncée, plus le taux de chômage est élevé. Alors, sur le plan géopolitique à présent, où va l’Espagne ?

[08:46 – Emilie] On va le voir, elle tente de profiter au mieux de sa position charnière entre Europe et Maghreb, laquelle est aussi parfois une source de tension. Le pays est en effet en première ligne sur les routes migratoires occidentales entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe, qui passent par le Maroc, puis les côtes et les îles espagnoles. Celles et ceux qui risquent leur vie à bord de pas terrasses arrivent aux Canaries ou dans les autres ports d’Espagne. De plus, l’Espagne est le seul pays européen à avoir une frontière terrestre avec l’Afrique, à Ceuta et Melilla, ville vestige de la colonisation. Madrid y coopère avec Rabat pour refouler les migrants qui tentent de franchir les barbelés et d’entrer sur le territoire européen. Cette coopération a un prix diplomatique. En mai 2021, les forces de l’ordre marocaine ont laissé passer 8 000 migrants en 24 heures à Ceuta pour faire pression sur le gouvernement espagnol à propos de la question du Sahara occidental. Depuis 1976, ce territoire est en effet disputé entre le Maroc et le Front Policario, un mouvement indépendantiste armé par l’Algérie. Alors que l’Union européenne défend un règlement de ce conflit par un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU, le gouvernement de gauche de Pedro Sánchez a décidé début 2022 de soutenir la proposition de paix marocaine.

[10:14 – Emilie] Contrairement à la conséquence de ce virage diplomatique, l’Algérie a suspendu le traité de coopération, l’alliant avec l’Espagne. Alors que l’Espagne est très dépendante des importations de gaz algériens, Alger a décidé d’augmenter le prix du gaz vendu aux Espagnols, aggravant encore l’inflation. Portes de sortie pour l’avenir ? L’éolien, l’hydraulique et le solaire, qui ont représenté plus de 21 % du mix énergétique espagnol en 2020. Voilà, pour ce voyage en Espagne richement doté par la géographie, malmené par l’histoire, notamment avec la guerre civile et les années franco, l’Espagne, une puissance comme retenue qui, pour peser davantage, notamment au sein de l’Union européenne, est en train de se rapprocher de son voisin portugais, en dépit de relations souvent houleuses par le passé. La preuve, cette photo où l’on voit au centre Antonio Costa, Premier ministre du Portugal, et Pedro Sánchez, le Premier ministre espagnol, en mars 2023, lors d’un sommet ibérique à Lanzarote, aux Canaries. Ils se sont notamment mis d’accord pour être à l’avant gare en Europe des énergies renouvelables. Pour aller plus loin, cet ouvrage d’une spécialiste de la culture espagnole, Le traitement de la crise en Espagne, publié chez Atland.

[11:33 – Emilie] Ainsi s’achève ce nouveau numéro du Dessous des cartes.  Rendez-vous bien sûr la semaine prochaine, même endroit, même heure. Et d’ici là, n’oubliez pas notre site Internet Arte.TV où vous retrouvez l’ensemble de nos vidéos.  À bientôt. Ciao.

WordPress Cookie Notice by Real Cookie Banner