[00:01] – Orateur
France Musique.
[00:15] – Orateur
Le journal intime de Frédéric Chopin.
[00:36] – Chopin
Le royaume de mon enfance.
[00:52] – Chopin
Varsovie, 1816. Cet après-midi, je suis resté allongé sous le grand piano du salon. Maman chantait en s’accompagnant. J’étais comme hypnotisé. Saisi par toutes ces vibrations qui résonnait dans mon corps. Tous ces sons qui passaient dans chacune de mes veines, qui pénétrait mes os. Je tremblais quand il était plus fort, quand il se faisait plus doux, plus secret. Je voulais que le temps s’arrête, que plus rien ne bouge. J’ai senti des larmes couler. C’était étrange. Je crois que j’ai aimé ça. Puis maman s’est arrêtée et m’a dit d’aller me reposer dans ma chambre. Je m’appelle Frédéric Chopin, J’ai six ans. J’ai trois sœurs. Ludovica est l’aînée et Isabella et Emilia sont plus jeunes que moi. Toute ma famille vit à Varsovie, au palais de Saxe où se trouve le lycée. Papa est professeur de langue et de littérature française. Papa et maman ont ouvert un pensionnat privé pour garçons. Nous les accueillons chez nous et Ludovica les aide parfois à prendre leurs leçons. Il y a un garçon qui s’appelle Titus. C’est mon ami.
[02:36] – Chopin
Même si le français est la langue de son enfance. Papa nous parle en polonais. Avec mes sœurs, nous apprenons le français et l’allemand. Mais à la maison, tout le monde parle polonais car maman est polonaise. Souvent, papa et maman font de la musique ensemble. J’aime beaucoup les entendre jouer des danses ou des chansons. Papa joue du violon ou de la flûte et maman est au piano. Tous les deux ont d’ailleurs décidé qu’il nous enseignerait la musique. C’est maman qui m’apprend à jouer du piano. Elle est très douce avec moi. J’aime surtout inventer la musique. J’imagine d’autres Polonaises que celles que maman me donne à étudier. J’aime le rythme de cette danse. Je le trouve très beau. Fière et noble. J’ai déjà composé deux polonaises. Papa et maman sont très étonnés de tout ce que je peux déjà jouer, alors je vais bientôt avoir un vrai professeur de piano, M. Zywny. J’apprendrai avec lui la musique de Jean-Sébastien Bach.
[04:10] – Chopin
Le lycée de papa a été déplacé au palais Casimir où siège aussi l’Université de Varsovie. Nous avons dû déménager et notre appartement est beaucoup plus grand. Le pensionnat Chopin peut maintenant s’agrandir et avec lui mon public, car j’invente pour les élèves des petites histoires au piano que je leur joue pendant les récréations.
[04:36] – Chopin
Décembre 1817. J’écris à papa. Mon cher papa, il me serait plus facile de lui faire part de mes sentiments, si je pouvais les lui exprimer avec les sons de la musique. Même le plus beau des concertos n’arriverait pas à lui témoigner de toute mon affection.
[05:00] – Chopin
24 février 1818 Théâtre du Palais des Radziwill. J’ai donné mon premier concert, j’ai huit ans. Papa a accepté que je joue au bénéfice des pauvres de Varsovie. Je vais porter un nouveau col. J’espère que le public le remarquera. Sur les affiches, ils ont écrit Chopinet. Pourquoi ce diminutif ? Mon nom est Chopin. Bientôt, je jouerai chez le grand-duc Constantin, au palais du Belvédère. Il est le frère du tsar Alexandre Iᵉʳ, roi de Pologne. Je compose pour lui une marche militaire. Je joue à présent pour tous les invités de marque qui sont de passage à Varsovie.
[05:53] – Chopin
Je suis reçu dans les salons et toutes les familles les plus prestigieuses se pressent pour m’inviter. Lorsque je joue les œuvres de Mozart, on me compare à lui, mais mon papa ne me fait pas jouer pour gagner de l’argent. A la maison, je m’amuse avec mes sœurs à imiter au piano tous ces personnages que je rencontre. Je les décris avec ma musique, à elle de les reconnaître. C’est très drôle et nous nous amusons beaucoup.
[06:34] – Chopin
Décembre 1819. Avec mes parents et mes sœurs, nous sommes allés écouter la grande cantatrice italienne Angelica Catalano. Elle donne quatre concerts à Varsovie cet hiver. Je n’ai pas retenu mes larmes en l’écoutant. Sa voix est comme un merveilleux ruban qui se déploie dans les airs. Elle chante la mélodie en brodant des ornements sur les petites notes. Je suis ébloui et je veux faire pareil avec ma musique. La Catalane m’a offert une montre en or. J’étais invité à jouer il y a quelques jours lors d’une soirée privée. Elle faisait partie des convives. J’ai bien vu qu’elle était très séduite par mon jeu et mes improvisations. Elle s’est dirigée vers moi et m’a remis ce cadeau avec beaucoup d’émotion. Elle avait même fait graver une dédicace dans le boîtier, Madame Catalano à Frédéric Chopin, âgé de dix ans à Varsovie le 3 janvier 1820. Je la garderai toute ma vie.
[07:51] – Chopin
Je suis dans ma chambre. Je tousse beaucoup aujourd’hui et maman préfère que je reste allongée et calme. Alors je dessine. Mais ce soir, je jouerai à quatre mains avec Ludovica.
[08:09] – Chopin
Avril 1821. J’ai onze ans. Plus que tout, j’aime que mes doigts courent très vite sur le clavier du piano. Chaque jour je m’entraîne. Surtout la main droite. Je viens de terminer la composition de ma troisième polonaise. J’ai introduit de nombreuses gammes virtuoses, de belles ornementations et des accords brisés où se faufile ma mélodie. Je vais l’offrir à mon cher professeur pour le jour de sa fête, le 23 avril prochain. Il est bien vieux maintenant et ne sait plus trop quoi faire avec moi.
[08:52] – Chopin
Papa et maman reçoivent tous les jeudis dans leur salon des personnalités très importantes à Varsovie. Hier soir, parmi les invités, il y avait Joseph Elsner, le nouveau directeur de l’Opéra et du Conservatoire national de Varsovie. Mes compositions l’ont intéressé et il a accepté d’être mon professeur de composition au Conservatoire. Je vais pouvoir étudier tous les accords possibles avec mon piano, mais j’enrage d’avoir une main si petite. Je vais mettre des morceaux de bois entre mes doigts pour les écarter et je pourrais ainsi jouer tous les accords petits et grands.
[09:36] – Chopin
24 février 1823. Ce soir, un concert est organisé par ce brave Joseph, professeur de piano au Conservatoire, celui qui parle cinq langues à la fois. J’ai treize ans. Je joue le concerto pour piano de Ferdinand Rice. Un article dans Le Courrier pour le beau sexe mentionne mon nom aux côtés de celui du pianiste Franz Liszt qui jouait à Vienne le même soir. A chacun son prodige.
[10:27] – Chopin
Octobre 1823. Nous avons passé l’été chez les Schaerbeek à Żelazowa Wola. C’est là-bas que je suis né. Maintenant. Je suis élève en classe de quatrième au lycée de Varsovie.
[10:53] – Chopin
Papa a souhaité que je rejoigne les bancs de l’école. Alors, chaque matin, je m’habille de mon uniforme bleu, une veste longue, cintrée à la taille et boutonnée en haut avec une casquette galonnée. L’allure est un peu militaire. Je rejoins ma classe, mais je ne sacrifierai pas mon piano sur l’autel des études.
[11:28] – Orateur
A réécouter sur https://www.radiofrance.fr/francemusique.